LE SPINNING
QUE FAIRE DES CHIENS TOURNEURS ?
Colette Arpaillange UP de pathologie médicale Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes
TERMINOLOGIE ET DEFINITION
Sous le vocable “chiens tourneurs” se dissimulent deux situations cliniques très différentes:
La marche sur le cercle ( circling) correspond à une marche lente et obnubilée traçant un cercle large.
Le tournis peut-être décrit comme un déplacement rapide sur un cercle serré, l’animal tournant en fait sur lui-même. Il correspond au tail-chaising ( on retrouve aussi le terme de spinning, circling ) des anglo-saxons.
Une prise de contact buccale avec la queue, pouvant aller jusqu’à l’auto-mutilation, peut être éventuellement observée, mais n’est pas obligatoire.
Enfin, mais il s’agit là de mouvements très particuliers, des rotations ” en tonneaux” sont parfois observées lors d’atteinte vestibulaire.
La marche sur le cercle révèle indiscutablement une lésion nerveuse unilatérale.
La localisation au sein de l’encéphale est variable et sera révélée par les autres symptômes.
Bien qu’il existe de nombreuses exceptions, la lésion est généralement située du côté vers lequel l’animal tourné.
Nous nous intéresserons donc par la suite uniquement au tournis et à son diagnostic différentiel.
DESCRIPTION CLINIQUE
La présentation clinique peut être très variable.
Certains éléments cliniques sont particulièrement importants car ils contribuent au diagnostic différentiel : l’âge d’apparition, la durée des épisodes de tournis et leur fréquence, le contexte déclenchant, l’état de conscience. Les comportements associés doivent être étudiés, qu’il s’agisse des comportements qui précédent les épisodes de tournis, les accompagnent ou les suivent: grognements, aboiements, gémissements, agressions, obnubilations, hallucinations, léchage… Ces renseignements et la description détaillée du propriétaire apportent des précisions quand à la nature du tournis. la visualisation de bandes vidéos réalisées par le propriétaire est souvent utile car le tournis est rarement observé en consultation.
Les caractéristiques cliniques permettent de distinguer d’emblée trois formes de tournis :
Stéréotypie : acte ou enchaînement d’actes identiques, répété régulièrement et dénué de fonction apparente. La caractéristique clinique essentielle des stéréotypies est l’absence de signal d’arrêt à l’issue de l’exécution de l’acte, une intervention extérieure étant nécessaire pour interrompre la séquence. Cet élément permet de distinguer les stéréotypies des activités substitutives qui possèdent un signal d’arrêt endogène spontané.
Activité substitutive : l’activité substitutive a deux caractéristiques principales: le comportement est sans rapport avec le contexte d’émission et permet d’apaiser une situation de conflit interne ou de tension émotionnelle. contrairement aux stéréotypies, elle s’autorégule et s’interrompt spontanément.
Rituel : séquence comportementale organisée autour d’un ensemble d’actes spontanément produits, puis qui acquièrent une fonction de communication.
Le distingo est théoriquement aisé entre stéréotypie et rituel ou activité substitutive mais beaucoup plus difficile entre ces deux dernières catégories.
ETIOLOGIE ET DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
Dans un but didactique, nous regrouperons les entités cliniques pouvant s’illustrer par du tournis en 3 catégories:
- Les affections organiques
- Les états pathologiques et les entités diagnostique comportementales dont le tournis est un symptôme secondaire ou mineur.
- Les entités diagnostiques comportementales dont le tournis est un symptôme principal ou majeur.
LES AFFECTIONS ORGANIQUES
Le tournis peut être la manifestation d’une épilepsie partielle ( psychomotor seizure ) qui se caractérise par l’expression paroxystique et répétitive de comportement anormaux ( tournis, aboiements, ingestion de mouches imaginaires…), survenant isolément ou suivis d’une phase convulsive. Les crises d’épilepsie partielle résultent d’un foyer, généralement lésionnel, situé dans le lobe temporal. les causes sont nombreuses ( tumeur, traumatisme, ménigoencéphalomyélite, etc…). Le diagnostic de certitude est hasardeux. L’électro-encéphalogramme, qui permet d’identifier une activité électrique anormale, est un examen relativement répandu aux États-unis. Sa légitimité diagnostique peut pourtant être remise en cause. Un diagnostic thérapeutique ( amélioration sous phénobarbital ) peut théoriquement être envisagé si la suspicion clinique le justifie ( élimination des autres causes, phases pré ou post-ictales apparentes…).
NB : Selon certains auteurs, le diagnostic de crise d’épilepsie partielle et de stéréotypie ne s’exclut pas.
Les affections de la région lombo-sacrée (syndrome queue de cheval ) ou toute irritation de la région caudale ( queue, anus, etc ) pourraient susciter du tournis. Un examen clinique et neurologique attentif permet de repérer des éléments d’orientation. Les entités diagnostiques comportementales dont le tournis est un symptôme majeur. Le tournis en particulier et les stéréotypies en général constituent un symptôme majeur, voir un critère diagnostique, de quelques affections comportementales.
LE SYNDROME DISSOCIATIF
Il se caractérise par une perte progressive de la relation du chien au monde extérieur avec apparition de troubles hallucinatoires de plus en plus sévères. Les symptômes apparaissent aux alentours de la puberté, même si des épisodes pré-morbides sont rétrospectivement repérés dés le plus jeune âge. Des stéréotypies envahissantes, au cours desquelles le chien semble indifférent à son environnement obnubilé par des stimuli imperceptibles ( hallucinations ) dominent le tableau clinique. On note une forte représentation des races Bull-Terrier et Berger allemand avec des prédispositions familiales attestées. le pronostique est sombre. le syndrome dissociatif présente des similitudes troublantes avec la schizophrénie. L’analyse de la littérature anglo-saxonne confirme une prévalence importante du tournis dans la race Bull-Terrier et dans une moindre mesure chez le berger Allemand. les descriptions cliniques disponibles sont souvent directement superposables au syndrome dissociatif tel que défini par Patrick Pageat (races et âge d’apparition, symptômes, dilatation des ventricules cérébraux…).
Les auteurs proposent trois hypothèses principales:
- Crises d’épilepsie partielle sur la base d’un électroencéphalogramme anormal.
- Déficit héréditaire en zinc, comme dans l’acrodermatite létale autre affection héréditaire du Bull-Terrier.
- Une aberration du métabolisme des endorphines ou de leurs récepteurs, corrélées d’ailleurs à l’apparente insensibilité à la douleur de la race Bull-Terrier (!).
LES STEREOTYPIES DE CONTRAINTE
Des stéréotypies peuvent faire suite à une situation de “contrainte” c’est à dire en pratique la mise au travail ou une mise à l’attache ou un confinement. Le contexte d’apparition est essentiel au diagnostic. Les troubles surviennent au jeune âge et s’avèrent assez stables dans le temps. En dehors de la stéréotypie, le tableau clinique est relativement pauvre. Un état anxieux peut cependant se développer. Les stéréotypes de tournis semblent plus fréquentes chez le Berger Allemand, qui connaît parallèlement un risque accrus de subir une situation de contrainte. Les états pathologiques et les entités diagnostiques comportementales dont le tournis est un symptôme secondaire.
Le tournis, en tant QU’ACTIVITE SUBSTITUTIVE OU STEREOTYPIE, fait partie du tableau clinique des états anxieux et dépressifs. Du tournis peut donc se rencontrer dans toutes les affections inhérentes à ces états pathologiques:
Anxiété ou dépression de privation, dépression de détachement précoce etc…Il ne constitue généralement pas un symptôme majeur, même si dans des formes très évoluées les autres symptômes ont tendance à s’estomper.
Il est également apparenté sous cette forme, par les auteurs anglo-saxons en particulier, aux troubles obsessionnels compulsifs. Le tournis stéréotypé répond effectivement aux critères des TOC, ou tout au moins des compulsions, tels que définis en médecine humaine. Caractère répétitif et envahissant / Contexte inopérant et comportement non fonctionnel / perturbant les activités normales. Le côté obsessionnel est attesté par la fréquence du tournis et à la difficulté à éviter que le chien momentanément distrait, entame rapidement une nouvelle séquence. le contexte d’émission des TOC est variable, certains patients parviennent à contrôler leur comportement en présence de tiers. Chez le chien, les punitions, les contraintes physiques, la restriction d’espace peuvent momentanément interrompre la stéréotypie, mais dès que le contexte le permet, le comportement s’exprime à nouveau. Chez l’homme, les TOC apparaissent souvent à l’adolescence, et chez le chien, en période pubertaire.
Le tournis ritualisé survient dans un très grand nombre de situations cliniques dès lors qu’il existe un trouble de la communication.
Le syndrome hypersensibilité-hyperactivité : Le tournis est un élément clinique fréquent du syndrome hypersensibilité-hyperactivité. Ce type d’activité motrice ( tournis, mais aussi sautillement, déambulations…), qui apparaît fréquemment au cours des jeux et dans un contexte d’excitation, est spontanément observé chez le chien hyperactif. Ces séquences subissent facilement un renforcement progressif et une ritualisation d’autant plus que la communication est pauvre et laborieuse chez les chiens atteints.
Les troubles de la communication : Ils ne constituent certes pas un diagnostic en soi, mais s’observent dans de nombreuses circonstances cliniques qu’il conviendra de déterminer, et notamment sociopathies, anxiété de dé ritualisation.
DEMARCHE DIAGNOSTIQUE
Elle s’inscrit dans la sémiologie comportementale globale, mais certains éléments particuliers méritent d’être documentés.
- A que âge le tournis est-il apparut ?
- Comment a-t-il évolué ?
- Est -il apparut brutalement ou progressivement ?
- Quelle est sa fréquence ?
- Quelle est la durée moyenne d’un épisode de tournis ?
- Le chien s’interrompt-il spontanément ?
- Est-il possible ou impossible d’interrompre le chien ? comment peut-onle distraire ?
- Dans quelles circonstances le tournis se déclenche t-il ? ( NB peut êtrenécessaire à posteriori de faire tenir un carnet de route recensant les circonstances de déclenchement ).
- Le tournis est-il observé de nuit comme de jour ? Dans unenvironnement connu comme dans un environnement inconnu ?
- Quels sont les comportements observables avant la séquence de tournis ? pendant ? après ? ( NB: on s’intéressera ici à d’éventuelles phases de fixité, d’obnubilation, à d’autres comportements productifs aboiements, grognements….)
- Existe-t-il des lésions sur la queue ou les postérieurs ? Ces lésions étaient-elles observables avant les épisodes de tournis ?
La part de la prise de contact avec la queue et le corps, léchage ou mutilation sera évaluée. Une description détaillée des séquences de tournis doit permettre d’attester de la réceptivité du chien au monde extérieur. Ces données permettent généralement de reconnaître la nature du tournis ( 1ere étape) et de dresser la liste des hypothèses les plus probables. La 2éme étape, plus ou moins aisée, consiste à proposer un diagnostic étiologique en tenant compte du tableau clinique dans son ensemble, des autres anomalies comportementales et des éléments épidémiologies. Un examen neurologique est indispensable même si les causes nerveuses de tournis restent probablement rares. Si l’examen neurologique est normal, que les symptômes ne sont pas observés dans un environnement inconnu, et si le chien peut être interrompu aisément, il ne s’agit vraisemblablement pas de crises d’épilepsie.
POSSIBILITES THERAPEUTIQUES
La littérature fait état d’un très grand nombre de traitements envisageables, de façon plus ou moins bien établie. L’implication des différents neurotransmetteurs n’étant pas clairement validée il est difficile de proposer un traitement de choix. Dans la pratique, il faut reconnaître que, lors de tournis envahissant, le pronostic globalement mauvais conduit le clinicien à faire des essais thérapeutiques plus ou moins couronnés de succès.
- Les anti-épileptiques : peuvent être envisagés lorsque l’hypothèse de crise psychomotrice est prouvée ou tout au moins étayée par un faisceau de preuve. Le phenobarbital est souvent proposé à la dose classique ( 2-3 mg/kg q12h ) et, mais la carbamazépine semble une alternative intéressante. Une réponse positive rend l’hypothèse d’épilepsie partielle hautement probable. A noter que l’efficacité du phénobarbital en cas de crise partielle chez l’homme serait moindre.
- Les antagonistes morphiniques : la naloxone et la naltrexone sont des antigonistes morphiniques commercialisés comme antidote des morphiniques. La naloxone ( NARCAN ) n’existe qu’en injectable et est proposée sous cette forme par les Anglo-saxons dans le but d’établir un diagnostic thérapeutique d’une anomalie des endorphines ou de leurs récepteurs ( naloxone challenge ). la naltrexone ( NALOREX ) disponible en comprimés permet un relais PO le cas échéant. Les doses proposées sont de l’ordre de 0.01mg/kg ( naloxone IV ) et 1-2 mg/kg/j ( naltrexone PO ).
- La risperdone ( RISPERDAL ): neuroleptique proposé pour le traitement du syndrome dissociatif.
- Les inhibiteurs de recapture de la sérotonine constituent le traitement de référence lors de TOC chez l’homme.
- La clomipramine, plébiscité par les Anglo-saxons, semble appropriée dans les troubles anxieux si le tournis n’est pas trop envahissant. Les études Anglo-saxonnes, en raison de l’hétérogénéité des tableaux cliniques et des diagnostics probables, ne permettent pas d’établir des critères d’efficacité et un cadre de prescription.
- La fluoxetine est également proposée. elles est préconisée lors de stéréotypie, dans le but de faciliter la réintroduction du signal d’arrêt.
- la sélégiline est envisageable s’il s’agit d’un rituel, associé ou non à un trouble de la communication. Elle renforcera l’impact de la thérapie comportementale.
Enfin, différentes molécules sont citées: la clozapine, la buspirone, l’amitryptiline, le thioridazide.
La thérapie comportementale a une importance variable selon l’origine du trouble. Elle est essentielle lors de rituel.
CONCLUSION
La gestion des chiens tourneurs représente un véritable challenge diagnostique et thérapeutique. Ce symptôme ou ce syndrome est aussi l’occasion d’illustrer des différences majeures entre l’école Anglo-saxonne et l’école française de comportement. Il apparaît aussi nettement que beaucoup d’inconnues demeurent notamment concernant les prédispositions raciales, la part du support neurologique, l’implication des neurotransmetteurs et des endorphines et la pertinence d’un modèle animal pressenti. Une meilleure connaissance de ce problème clinique et une démarche diagnostique rigoureuse et attentive permettent cependant au clinicien, sinon d’établir un diagnostic précis, au moins d’intervenir dans un cadre relativement structuré et rassurant face à un problème déroutant.
Colette Arpaillange
Source : CFABT